Au lycée, tout le monde se moque de Needy Fitch-Méndez. Parce que c’est une véritable cruche sans cervelle, qui glousse sans arrêt. Et le pire, c’est que la concernée ne se rend pas compte qu’il y a des chuchotis sur son passage, ce qui la rend encore plus risible.
Néanmoins, personne n’a jamais fait remarquer son attitude à Needy. Parce qu’en réalité, les gens aiment bien Needy, malgré son côté très innocent. Pire, encore, elle a toute une foule d’amis. Needy, elle est d’une compagnie très agréable. Elle peut vous faire oublier tous vos soucis en trois noms deux adjectifs à peine. Elle est magique, Needy.
Il faut dire, aussi, qu’elle n’a pas la vie facile Needy. Son père est un tyran né, un vrai Louis XIV version anglais. Terrifiant. Avec lui, un pas de travers et c’est le bagne. La niaiserie est surement le meilleur moyen pour Needy d’échapper à tout ça. Surement.
Mais avant de partir dans de plus profonds détails de l'existence palpitante que mène N., petit flash back voulez-vous? Needy est née à Madrid, le treize mai, il y a aujourd'hui dix-huit ans de ça. À sa naissance, elle était déjà belle comme un cœur, même son père a été obligé de l'admettre. Très vite, elle s'est révélée être une personne très sympathique, quoique pas très perspicace. Avec elle, les phrases débiles c'est toute les deux minutes. Au bout d'un moment, on finit par oublier sa stupidité et on profite de sa gentillesse. Sur le plan scolaire, les parents de Needy n'ont jamais eu à se plaindre (son père a toujours cependant trouvé quelque chose pour la rabaisser, c'est un homme dur et intolérable). Elle connaissait toujours ses leçons sur le bout des doigts et avait des notes astronomiques. Son attitude en classe, cependant, a toujours été limite. Bavardages, rêvasseries, écrivaient ses professeurs. Oui, c'est tout Needy ça.
Son adolescence a été normale. Chagrins d'amours, on claque les portes, sorties avec les copines, on veut une augmentation d'argent de poche tous les weekend. Il y a cependant ce petit détail qui différencie son adolescence de celle de ses copines: son père battait sa mère. Cette dernière a tout fait pour protéger Needy et prenait tout les coups à sa place. Madame Médenz aime profondément sa fille, vous savez. Ainsi que son autre fille, bien entendu, Winnie. Ainée de la famille, Winnie n'a jamais été aussi modèle comme fille que sa cadette. Au contraire, très jeune elle a sombré dans les drogues et dans toutes ces choses illicites qui font que le père de Winnie a honte d'elle. Mais après tout, chacun son truc. Needy c'est la stupidité et Winnie la drogue. On s'en sort comme on peu.
En tous les cas, Needy et Winnie se sont toujours bien entendues. Oh bien sur, elles se sont quelques peu éloignées depuis que Winnie a commencé ses activités illicites, car madame ne veut pas d'aide de Needy. Et N. en souffre, bon Dieu qu'est-ce-qu'elle en souffre. Mais d'un côté, Winnie se sent un peu obligée de surveiller sa petite sœur. Alors que celle-ci avait à peine treize ans, marre d'être battue, Maman Méndez a fait ses bagages et a quitté Londres pour rejoindre sa ville natale. Bizarrement, le chef de famille, Mr Fitch, ne s'est pas vengé sur ses filles. Oh bien sur il les a toujours traitée comme si elles étaient des moins que rien, mais il a laissé la violence de côté.
Needy a donc à présent dix-huit ans, et pour les vacances de Pâques, elle travaille pour une petite libraire située dans le quartier français de Londres. Elle est charmante avec les clients, serviable, bien que très cruche sur les bords, mais elle a toujours été comme ça, n’est-ce pas ? Les cheveux rassemblés en une queue de cheval, elle est penchée sur un bloc note et dessine le portrait de sa mère quand elle était jeune. Un jeune homme à la chevelure cuivrée entra dans la boutique, salua Needy en anglais et fila au fond de la librairie. Il revint à peine deux secondes plus tard avec un livre de Shakespeare dans les mains. Classique. Il tendit sa carte bancaire à la jeune femme. Celle-ci fixa la carte avec ébahissement. Carlyle Reynolds. Pourquoi ce nom lui est-il si familier ? Le client s’impatienta et reprocha d’une voix qu’il essayait de rendre la plus polie possible :
« Il y a un problème mademoiselle ? Je suis plutôt pressé. Rendez vous chez le médecin. » Une fois n’est pas coutume, Needy fit marcher son cerveau à toute allure et la réponse s’imposa soudain à elle, la frappant de plein fouet. L’espace d’un instant, elle redevint une adolescente serrant dans ses bras le "petit Carlyle", son meilleur ami, avant les grandes vacances. Voir qu’il mesurait aujourd’hui plus d’un mètre quatre vingt la fit rire intérieurement. Un grand sourire illumina son visage.
« Mais t’as fini par grandir alors ! », ne put-elle s’empêcher de dire. Les yeux de Carlyle s’arrêtèrent soudain sur ceux de Needy. Lui aussi la connaissait.
« Gosh, Needy, mais t’as pas pris un centimètre toi… » Ravie, elle lui adressa un sourire qu'il lui renvoya avec autant de joie.
« Écoute, on devrait se voir un jour toi et moi, mais là vraiment j'ai pas le temps, médecin tu sais... » « J'ai une pause de deux heures tous les midis -douze heures, quatorze heures », dit-elle avec un empressement ridicule. Needy acquiesça et prit son livre ainsi que sa carte bancaire. Il lui adressa un au revoir de la main, comme il le faisait lorsqu'ils avaient encore treize ans.
« Et t'as des nouvelles de l'ancienne bande? Tu sais, Clyde, Muse et tout... » Carlyle et Needy étaient à présent assis à la terrasse d'un café de Kensington. Needy hocha tristement la tête.
« Non, la dernière fois que j'ai vu Muse et Clyde, ils venaient de rompre. C'était ma faute, parce que Clyde et moi nous étions embrassés à son anniversaire, et je me suis engueulée avec Mumu à cause de ça. Ma meilleure amie, tu te rends compte? J'en ai voulu à Clyde. Je vois toujours Jaxson de temps en temps, mais il va aller en France en septembre, ça va devenir plus dur de se voir. » S'en suivi ensuite deux longues heures durant lesquelles ils se racontèrent ce qu'ils devenaient -leurs petites histoires quotidiennes, les années lycée bientôt terminées. Vers la fin de l'entrevue, Carlyle mit fin à la conversation en embrassant une Needy qui ne dit pas non.
Voilà dix minutes qu'elle regarde cette photo de leur couple, prise un an auparavant, qui ressemble si peu à celui qu'ils forment aujourd'hui. Le jour où il l'a embrassé pour la première fois lui semble si loin aujourd'hui.
Le mois dernier, Carlyle s'est installé chez Needy. Depuis, c'est...autre chose. Ce n'est plus comme avant. Il ne lui dit plus
je t'aime, il ne la prend plus dans ses bras et ne l'embrasse que deux fois pas jour -pour bonjour et bonne nuit. Le côté innocent de Needy ne le fait plus rire. Au contraire, il l'irrite. L'agace. Petit à petit, Needy laisse Carlyle s'éloigner d'elle.
POURSUITE DU BONHEUR: RENDEZ-VOUS À MADRID. Dans toutes les langues qui existent. Du français au russe. Incroyable. Pour Needy, le bonheur, ce serait de... retrouver se mère, se rapprocher de Carlyle et entrer enfin à l'école de danse Bernadette X à Londres. En effet, Needy fait de la danse classique depuis qu'elle a quatre ans. Et elle est douée, elle est toujours devant pour la récitals. L'année dernière, quelqu'un de cette prestigieuse école l'a contactée. Mais son père a refusé. Selon lui, la danse ce n'est pas quelque chose qu'on fait quand on s'appelle Fitch-Médenz. Alors elle a continué de prendre des cours dans une petite école de danse à côté de chez elle. Ce n'est pas pareil, mais bon.
N'empêche, trouver le bonheur à Madrid. C'est quoi ce canular? Mais peut-être qu'elle devrait quand même en parler à Carlyle, après tout.